Et Bécassine chuta...

Le 18 juin 1939, Bécassine était la victime d'un terrible traquenard dont toute la France allait parler. Un groupe de "terroristes" Breton, expérimenté et déterminé, agissait au Musée Grévin à Paris, pour mettre fin à cette triste mascarade. Patrick Guerin, l'un des "terroristes" de l'époque, s'est livré auprès des Editions Dalc'homp Soñj en 1983. Voici le témoignage d'un des acteurs de cet exploit mémorable, recueilli dans le Dalc'homp Soñj N°4.

" Il y avait Jadé et Mahé, qui étaient mes camarades de la section Paris de Breiz Atao, et nous avions déjà fait le coup du sabotage du film " Tout va très bien , Madame la Marquise". J'avais d'ailleurs été coincé et condamné à payer 1 francs d'amende au tribunal de la Seine avec Melle Quemener.

C'était l'époque où il y avait vraiment, malgré le Front dit "Populaire" une campagne terrible contre les "ploucs", les Bretons et toutes les colonies.

Jadé et Mahé sont passés me voir un jour dans une crêperie. Ils m'ont appris la nouvelle :

- " Tu sais, il y a une statue de Bécassine au Musée Grévin !

- Oh ! Bordel, que je dis, c'est pas possible, ça ! On va y aller voir..."

On s'est mis immédiatement d'accord : Mahé, l'ingénieur électricien, est allé repérer les lieux. Puis, chez moi, on a fait une espèce de mannequin : on a répété pour savoir comment s'y prendre afin de foutre la "statue" en l'air et bien la casser. Le jour convenu, le dimanche 18 juin 1939, l'après-midi, on s'est donc rendu au Musée Grévin. Jadé s'est accroupi derrière le mannequin de Bécassine !! Tandis que Mahé et moi, on l'a fait basculer par-dessus Mahé. Comme la tête était en cire, et qu'elle ne s'était pas cassé, Mahé l'a jetée sur le sol. Elle s'est brisée en trente-six morceaux ! Il a eu alors la présence d'esprit de récupérer le nez de Bécassine.Puis nous nous sommes carapatés, mais Mahé, accidenté la veille lors d'un match de football, avait de la peine à nous suivre...

Jadé et moi l'attendions dans un taxi : nous aurions aimé une poursuite "à l'américaine" avec les flics ; mais nous fûmes frustrés, car ils nous ont cueillis à la porte du taxi et amenés manu-militari au poste de police !

Là, le commissaire de police nous dit, tout plein de morgue :

- Je suis le commissaire qui a arrêté Weidmann.

- Je vous félicite, monsieur, c'est un grand bandit, lui répondis-je.

- Oui, mais avec moi,ça ne se passe pas comme ça : vous allez avouer!

- Mais, on est bien trop contents de le faire, dis-je en rigolant !

Les flics nous ont mis dans des cellules séparées. Au bout de quelque temps le commissaire m'a dit :

"Vos camarades ne parlent pas français...?

- Alors, vous êtes nationaliste breton ?

- Qu'est-ce que ça peut vous foutre ?

Et vous, vous êtes Flamand... ?"

On s'est chamaillé gentiment pendant un moment. Notre coup s'était passé vers deux heures et demie, trois heures. Vers six heures et demie, les poulets sont venus me chercher pour m'amener au bureau du commissaire :

- "Maintenant, on va savoir à quoi s'en tenir, dit-il en décrochant son téléphone. Il a discuté un moment avec son interlocuteur. A la fin de la communication, il s'est écrié en se tournant vers moi :

- "Oh ! Puisque Daladier s'en fout, s'il ne veut pas d'histoire avec les Bretons, eh ! bien, je ne me mouille pas. Allez ! Foutez-moi le camp !"

Voilà. Je comprends pourquoi Daladier ne voulait pas d'histoire avec les Bretons : on était à la veille de la guerre ! On avait bien besoin des Bretons, pour défendre le territoire de l'Hexagone...

Dans la presse, ce fut un tollé fantastique ! Je ne l'aurais jamais imaginé ! Le soir même Jadé, Mahé et moi, sommes allés bouffer à la crêperie de la rue Vandame.J'ai rencontré Céline qui était en train de dîner avec sa femme, la fameuse Almanzor. II me dit : Ah ! Les Bretons ! Toujours aussi cons !

Mais, ce qui est fantastique, c'est que par suite, j'ai reçu 150 (cent cinquante), lettres de félicitations, dont les neuf dixièmes émanaient de gamines, de jeunes filles : des collèges entiers m'ont écrit ainsi qu'à mes camarades - avec des déclarations d'amour (!) entre autre. Breiz Atao en publia quelques-unes. C'est là qu'on s'aperçoit ce que c'est que le vedettariat! Ces lettres, malheureusement, m'ont été fauchées par les flics lors de mon arrestation en 1944.

En Bretagne la réaction a été UNANIME comme à l'époque de Gwenn ha Du, comme au premier FLB : les gens se découvraient Bretons, sans savoir d'où ça leur tombait. Mais du temps de Breiz Atao, c'était pas les grands creux comme maintenant. On savait où était tout le monde, les flics aussi d'ailleurs. Mais quand ils crochaient dedans, on se bagarrait. Les journaux français disaient que nous avions quand même rendu service, car ces pauvres Bretons ne méritaient pas ça !

Dalc'homp Soñj N° 4 (avec l'aimable autorisation des éditions Dalc'homp Soñj)