RENE - YVES CRESTON ( 1898-1964)

LES " SEIZ BREUR " ( 2ème partie )

Résistant

1940, la France est occupée en partie dont Paris. Le moment du silence et du repliement sur soi a-t-il sonné pour R.- Y. Creston? C'est mal le connaître que d'envisager une telle situation !

En août 1940 il rejoint un mouvement de résistance en formation au Musée de l'Homme et collabore au journal clandestin " Résistance " dont le premier numéro sort le 15 décembre.

Il n'oublie pas pour autant l'Association des " Seiz Breur ", dont il est toujours le Président, et contacte en novembre 1940 tous les anciens camarades dispersés lors de la mobilisation, puis de la débâcle française ou prisonniers, afin de les regrouper, de ranimer les énergies et de poursuivre l'oeuvre entreprise avant la guerre, quelles que soient les circonstances présentes. A cette occasion il lance un programme en treize points, véritable projet de statut culturel pour la Bretagne comme on n'en avait vu depuis longtemps. Tout y est et même plus que ce que rapporteront, les timides réformes arrachées aux gouvernements successifs entre 1945 et 1986.

Un certain nombre d'artistes ayant répondu présent à son appel, une première exposition " Seiz Breur ", se tiendra en 1941 à Ker-Vreizh à Paris, où Creston présentera diverses toiles.

S'il poursuit, en ancien " Breiz Atao " qu'il est, le combat pour la reconnaissance et l'instauration d'une véritable culture bretonne il mène en parallèle sa collaboration à la Résistance et se voit, entre autre, chargé de recueillir des renseignements sur le port et la base sous-marine de Saint-Nazaire. Alors que la plupart des membres du réseau du Musée de l'Homme connaîtront une fin tragique (sept fusillés et une déportée), R.-Y. Creston est arrêté le 11 février 1941, interné à la prison du Cherche-Midi puis à celle de Fresnes. Dans sa cellule, en mars, il écrit un poème: " Lug " sur du papier d'emballage à l'aide d'un morceau de bois trempé dans du bleu de méthylène délayé. La fouille de son appartement et l'interrogatoire de sa femme par les Allemands n'ayant rien donné il sera libéré le 12 juin 1941 et astreint à résidence surveillée en Bretagne(!) à Amanlis près de Janzé. Faisant allusion aux propos de R. Giot dans la préface de la réédition du " Costume Breton " de R. Y. Creston aux éditions Tchou en 1974, madame Creston conteste toute solde d'intervention d'amis auprès des autorités allemandes, dont celle de R. Hemon, pour aider à la libération de son mari. De toutes manières je crois qu'il n'est pas condamnable, sur le moment comme à posteriori, que des amis bretons tels R. Hemon, voir F. Debauvais, aient utilisé leurs relations pour sortir un camarade aux mains de la police allemande. C'est dans ce sens que R. Hemon aurait demandé à son collègue celtisant le professeur Weisgerber, mobilisé dans l'armée allemande, d'intervenir selon ses possibilités auprès des autorités compétentes. R.-Y. Creston le savait d'ailleurs, puisqu'il se proposait peu de temps après sa libération de remercier le professeur Weisgerber d'avoir aidé à le faire libérer. Confidence de Marc'harid Gourlaouen à P. Denez).

Contraint de résider à quelques encablures de Rennes, ce qui n'était pas trop mal venu pour un breton " suspect " ! il va poursuivre ses travaux personnels et son action en faveur de La Bretagne: - 59 dessins pour accompagner la méthode d'enseignement du breton de son ami Yann Sohier " Me a lenno " en 1941.

- Illustrations de bois gravés étonnants de réalisme et de bretonnité pour le roman de Youenn Drezen " Itron Varia Garmez ", éditions Skrid ha Skeuden, 1941.

En octobre 1941 il participe avec Ronan de Fréminville et Jean Trecan à la création du " Framm Keltiek " (Institut Celtique), avec la complicité de l'ancien compagnon O. Mordrel et la présence de R. Hemon qui sera élu président. Jusqu'en 1944 cette association deviendra un lieu de rassemblement d'une partie de l'intelligentsia bretonne en cette période cruciale de prise de conscience du fait culturel breton.

Lors du Congrès du " Framm keltiek " à Rennes en mai 1943, c'est R.-Y. Creston qui brosse les décors du drame de T. Malmanche " Ar Baganiz " (Les Païens) représenté au Théâtre Municipal.

Courant 1943, le Musée National des Arts et Traditions Populaires, grâce à son conservateur G. H. Rivière et son collègue P. L. Duchartre, organise le chantier des " Chômeurs Intellectuels " où des jeunes gens menacés par le Service du Travail Obligatoire seront incorporés, échappant ainsi au STO, en Allemagne, Certains d'entre eux, tous bretons, organisent la très sérieuse " Mission d'Ethnographie Folklorique de Bretagne ", qui allait s'intéresser à la Haute et à la Basse-Bretagne.

Une fois de plus Creston est là et, sous l'égide de l'abbé F. Falc'hun titulaire de la chaire de Celtique à la Faculté des Lettres de l'Université de Rennes, c'est à lui que revient la charge de conduire la mission d'étude sur la Basse-Bretagne. C'est en partie grâce à cette nouvelle activité de recherches sur le terrain que découleront quelques années plus tard ses importants travaux sur les costumes et les coiffes.

De janvier 1931 (pose des premières tôles sur la grande cale des chantiers Penhoët de Saint-Nazaire du futur paquebot " Normandie ", jusqu'en 1935 ses premiers essais en mer) R. Y. Creston et son ami le graveur Pinard, n'avaient cessé en de rapides croquis de suivre l'évolution de la construction. Ces croquis, retravaillés, certains peintes il les expose à la Galerie Perdriel à Rennes en mai 1943. Exposition " in mémoriam " car depuis février 1942 le navire gît sur bâbord à New-York, calciné au niveau du pont promenade et au-dessus.

" Notre peintre a su restituer les caprices des lignes, les engorgements ou les finesses cachés plus bas que la ligne de flottaison. Il a, opposant le beau bateau verni, aérodynamique et d'une écrasante grandeur, aux maisons basses, grises, mal fichues, du vieux Saint-Nazaire, créé une poésie d'antithèse qui a le mérite de s'exprimer par des moyens strictement plastiques..." (G.P. Ouest-Eclair, 19.05.1943)

1943, c'est aussi le XXème anniversaire de la création du mouvement des " Seiz Breur " et , pour fêter l'événement, R - Y Creston organise une grande exposition à la galerie Perdriel à Rennes, en novembre, afin de prouver aux artistes Seiz Breur comme au public que le mouvement ne lâche pas prise. Creston y présente quatre peintures dont : " Champ de blé noir " et " Koulc'houlin brandissant l'épée ", d'inspirations très opposées, ainsi que les maquettes des costumes de " Gurvan " de T. Malmanche, et " La Roue de Saint-Tu-Pe-Du ", miracle e Michel Geitsdoerfer. Avec ses travaux des envois de X. de Langlais, Ed. Mahe, X. Haas, Y. Goulet, Ch. Penther, P.Peron, R. Tullou...

Et puis, R.-Y. Creston fait subitement volte-face et donne sa démission de Président des " Seiz Breur " lors de l'Assemblée Générale du 30-1-1944 à Rennes. Le 1er janvier 1944, les " Seiz Breur " étaient 42... " C'était le seul moyen de sauver ce qu'il y avait à sauver..." écrira-t-il en mai 1945 à son ami B. Planeix, un des trois Vice-Présidents de l'Association, laissant entendre par-là qu'une tension interne s'était fait jour et que son geste évitait l'éclatement.

Fin 1944 de nombreux militants bretons avaient été emprisonnés. En Bretagne, avec la Libération sonnait aussi l'heure des règlements de compte et de la répression. R.-Y. Creston, arguant de sa participation notoire à la Résistance, va trouver le Ministre de la Justice H. Teitgen pour lui demander un adoucissement au sort des prisonniers bretons raflés par la police française et entassés dans des camps à Rennes, Langueux... Il se voit opposer un refus catégorique. Par contre il réussit à extorquer à son compatriote Marcel Cachin une lettre qui sauve un militant breton après la libération de Paris.

..." On me demande chaque jour d'intervenir pour celui-ci ou celui-là. On fait ce qu'on peut, le plus qu'on peut pour ceux qui en valent la peine..." (lettre à B. Planeix).

Malgré la chape de plomb qui s'abattait sur la vie culturelle bretonne d'avant et pendant la guerre, R.-Y Creston restait optimiste.

... " Je pense qu'en octobre 1945 nous pourrons reprendre vie..." confiait-il à B. Planeix, toujours dans la même lettre, visant par-là " La Société des Métiers d'Art et de Tradition " qui avait été liquidée, et allait être remontée sans doute sous le nom " d'Union des Architectes, Artistes, Artisans de Bretagne ".

Ethnologue

De 1946 à 1948 il poursuit ses recherches sur les costumes régionaux et se lance dans l'ethnologie maritime et l'archéologie sous-marine des régions atlantiques. Nommé en 1947 Secrétaire Générale du Comité International d'Ethnologie Maritime, il va représenter la France dans de nombreux congrès internationaux : Naples, Sicile, Barcelone, Santo-Tisso au Portugal. C'est aussi en 1947 qu'il reprend la présidence du mouvement des " Seiz Breur ", lors de l'ultime Assemblée Générale de l'association, avec le ferme espoir de regrouper anciens et jeunes et de poursuivre l'action.

Tout l'optimisme de Creston et de ses proches, son désir de ne pas être battu ni abandonné de ses anciens camarades, seront sans effet. L'expérience " Seiz-Breur " telle que nous l'avons connue est achevée.

En 1949 R. Y. Creston entre comme stagiaire au Centre National de la Recherche Scientifique, puis devient attaché de recherche, et enfin nommé maître de Recherche quelques mois avant sa mise à la retraite en octobre 1963.

De 1953 à 1961, il va entreprendre le gros travail de son " Histoire du Costume Breton ", oeuvre méticuleuse, précise s'il en est et bourrée de planches en couleurs et de renseignements techniques. N'ayant pas trouvé d'éditeur, il la fera paraître en fascicules grâce à l'avance consentie par le C.N.R.S. et aux fonds de quelques collaborateurs et amis. Les fascicules 1 et 2 sortiront à 1000 exemplaires, mais au vu du peu d'empressement des lecteurs et des impératifs qui régissent les subventions à fonds perdus du C.N.R.S., les suivants le seront à 300 exemplaires.

charcotLe commandant Jean Charcot, 1934

Installé définitivement en Bretagne à Etables ce sont l'ethnologie maritime et régionale qui vont accaparer les dernières années de sa vie.

- Etude de navire de pêche en France, anciens et modernes, Commerce traditionnel, artisanat maritime, Questionnaire et instructions d'enquête.( 1950).

- Les Fêtes calendaires à l'île de Batz. ( 1950).

- Ethnologie des populations maritimes du N.-O Européen (1951).

- L'art populaire à l'île de Sein et au Cap Sizun. (Communication au 1er Congrès International d'Ethnographie et Folklore de la mer. Naples. ( 1954).

-" Journal de bord de saint Brendan ". Edition de Paris. (1957).

- Considérations techniques sur la flotte des Vénètes et des Romains.1957.

- La Lutte Bretonne à Scaër. B.A.S. ( 1957).

R.-Y. Creston sera le grand fournisseur de costumes du Musée des Arts et Traditions Populaires de Paris, du Musée de Bretagne à Rennes, du Musée Breton de Quimper.

Conservateur du Musée de Saint-Brieuc en 1962, il y organise des expositions dont celle sur " les coiffes bretonnes du XIXe siècle dans la vie et dans l'art " (29 juin au 10 octobre 1963), Catalogue avec texte de Creston, (Les Presses Bretonnes de Saint-Brieuc), et va lutter pour que la ville de Saint-Brieuc ait un Musée Breton digne d'elle.

Lorsque la mort le surprend le 30 mai 1964 à Etables, dans sa maison familiale, il n'est plus qu'une volonté toujours tournée vers l'avenir, malgré la maladie qui le mine depuis onze mois.

Une vie bien remplie venait de s'arrêter, menée au pas de course, exaltée, passionnée, curieuse de tout ce qui se faisait en Bretagne et hors de Bretagne, une vie où les nombreux projets, mais sans doute aussi les nombreux rêves, se sont succédé sans interruptions, les uns réalisés les autres non.

Pour mener à bien ses projets, R.-Y. Creston sera tenu de jouer tantôt les autoritaires tantôt les opportunistes, navigant à droite et à gauche, s'immisçant par ici, s'imposant par là, car la partie ne fut jamais gagnée d'avance face aux gens en place, aux coteries et aux habitudes artistiques prises. Si de cette manière, sa manière, il obtint des résultats certains, en contrepartie il ne se fût pas que des amis. Il est admis qu'il horripilait quelques artistes, allant jusqu'à la fâcherie durable, mais ses compagnons des " Seiz Breur " reconnaissaient en lui le camarade jovial, dynamique, plein de talents, dévoué, optimiste et tenace dans ses idées et breton dans l'âme. Des idées qu'il avait à revendre (Le peintre P. Peron disait qu'il fallait le freiner!) et qui contribuaient à son auréole et à son ascendant sur les autres.

Les jeunes le passionnaient et il leur consacra beaucoup de temps pour leur communiquer la foi dans la beauté et en la Bretagne. Soucieux de poursuivre l'oeuvre entreprise par les " Seiz Breur ", il encouragea de nombreux artistes, leur offrant des possibilités d'expositions, en souhaitant qu'un jour ils puissent prendre la relève: Cresseveur, Junca, J. Lauthe, Le Long, F. Pellerin, Rachelboeuf, Rivoalen, Y. Trevedy...

L'oeuvre picturale de R.-Y. Creston (huiles gouaches, dessins, et gravures) est une oeuvre profondément marquée par son goût pour l'ethnographie. C'est une peinture reportage, directe, franche, techniquement réussie, nous montrant avec talent des paysages connus de Bretagne ou inconnus comme les régions arctiques. C'est aussi une peinture sociale en hommage aux hommes et femmes au travail, sur les marais salants de la Grande Brière, sur les morutiers, aux voiles ou au chalutage; les pêcheurs à Douarnenez et les gabiers du " Pourquoi-pas ? ", les paludiers sur les oeillets ou roulant le sel, et les lutteurs sur la sciure.

Quelques-unes des ses toiles ainsi que des dessins ont été acquis par des musées de Bretagne, mais l'essentiel de son oeuvre est dispersée chez des particuliers. Oeuvres d'ailleurs plus souvent données ou troquées que vendues.

..." Je ne connais aucun marchand de tableaux car j'ai rompu avec cette clique depuis vingt ans!... Je peins toujours lorsque j'ai le temps mais je ne veux rien vendre, attendant de faire un jour une exposition importante..." écrivait-il à Anna Youenou le 1er janvier 1960.

Madame Creston me confirmait le fait car elle ne se souvenait pas d'une seule vente effectuée du vivant de son mari.

Un autre aspect très important des travaux de R.-Y. Creston, ces derniers plus aisé à retrouver, ce sont ses croquis, dessins rehaussés et bois gravés. Pour cette dernière technique, encouragée chez " les Seiz Breur " par Jeanne Malivel (elle estimait qu'elle convenait parfaitement au tempérament breton), R.-Y. Creston a laissé des oeuvres particulièrement fortes et d'une grande sûreté d'exécution:

Apres mais profondément humaines sont ses gravures sur bois illustrant " La Brière " d'A. de Chateaubriand. Inspirées, révoltées et bouillonnantes de patriotisme celles illustrant les " Histoires de Bretagne " et le roman " Itron Varia Garmez ". Anti-art sulpicien sont ses " Saints de Bretagne " de 1924, qui ont retrouvé la langue bretonne pour les légendes et l'inspiration celtique pour les motifs décoratifs d'accompagnement.

R. Y. Creston sait adapter son style à toutes les situations et le graphisme suit, marquant la différence entre une affiche " Komzit Brezhoneg d'ho pugale ", éditée en 1928 et les illustrations polychromes pleine page dans " Ouest-France " pour les grandes fêtes folkloriques bretonne: de 1959 à 1961); les croquis d'audience: au procès des Catalans ( 1927-1928) et le gouaches sur papier de 1935 sur les " Costumes d'Ouessant ".

La recherche d'une décoration moderne d'inspiration celtique sera particulièrement présente dans ses illustrations pour " Pevar skourr ar Mabinoggi " traduits en breton par Abeozen, le " Kan da Gornog " de Y. Drezen et les couvertures des revues " Kornog " et " Keltia ".

On y trouve une préoccupation constante chez lui: comment prolonger la tradition de la décoration celtique dans le monde breton moderne. Il s'est même attaché à dessiner un alphabet d'imprimerie qui soit propre aux textes bretons, comme d'autres pays d'Europe avaient le leur.

Un musée Creston ?

Nous avons vu que R.-Y. Creston s'était intéressé à la création de mobilier, de poteries, de décors et costumes de théâtre de cartons de vitraux, ajoutons pour tenter d'être complet: des dessins pour les bijoux " Kelt " des décorations sur le paquebot " Champlain " et des céramiques.

C'est aux faïenceries Henriot de Quimper qu'il confia la réalisation de ses maquettes: petite mappemonde de 1931 et grande mappemonde de 1937, service à poisson en 1925, des assiettes, plats, statuettes dont les célèbres " Porteurs de bannières " et " Nominoë à cheval ".

Après la mort de son mari Madame Creston poursuivit l'oeuvre de collecte qu'il avait commencée, rassemblant des documents, des oeuvres d'art, des outils aratoires, des objets ménagers usuels, des meubles... établissant des fiches augmentant d'une manière substantielle une collection destinée au grand Musée de Saint-Brieuc promis par des municipalités successives mais jamais réalisé. Cette fois, le Musée tend à devenir réalité ; le bâtiment est choisi il est en cours de restauration, mais Madame Creston a pris sa retraite.

Puisque Loudéac a donné le nom de Jeanne Malivel à son Centre Culturel, peut-on espérer que Saint-Brieuc donnera le nom de R.-Y. Creston à son Musée, en souvenir et hommage à l'artiste et à ses oeuvres.

J.R Rotté (1985)

  Dalc'homp Soñj N°14 (avec l'aimable autorisation des éditions Dalc'homp Soñj)