Jarl Priel (1885-1965)

Charles, Joseph, Marie Tremel est né le 23 avril 1885 tout près de Tréguier, à Plouguiel (en breton Priel), village dont il adoptera plus tard le nom, dans un milieu presque exclusivement bretonnant dont il recevra l'empreinte ineffaçable.

C'est tard cependant que Jarl Priel est venu à notre littérature, oiseau voyageur, suivant l'appel du grand large comme ses ancêtres lointains. Ce n'est qu'après une vie d'aventures et d'errances qu'il reviendra en son pays, presque au seuil de la vieillesse, quand le vent de l'hiver souffle déjà. C'est en lisant le célèbre ouvrage de Roparz Hemon, "Ur Breizhad oc'h adkavout Breizh" qu'il a retrouvé lui aussi la Bretagne, qu'il songe à écrire en cette langue à laquelle était lié son génie, et il ne le savait pas!... Comme un homme qui est passé à côté d'un grand amour et ne le découvre qu'à la fin de son existence.

Auparavant il avait écrit en français, avec un succès honorable, des romans, des contes, des nouvelles dans des revues ou journaux littéraires de renom à l'époque: "Le Mercure de France", "Candide ","Gringoire", sans parler de nombreuses traductions du russe Nabokov ("Lolita") Gogol ("Tarass Boulba"). C'est en 1942, à l'âge de 57 ans qu'il nous donnera sa première pièce en notre langue, une petite pièce "An dakenn dour" ("La goutte d'eau"), pour le Bleun-Brug de Tréguier, et en 1949-50 seulement qu'il s'affirme comme un des écrivains les plus marquants de son époque avec deux autres pièces éditées par "Al Liamm" : "Tri devezhour evit an eost" ("Trois journaliers pour la moisson") et"Ar spontailh" ("L'Epouvantail ").

Il a alors 65 ans, un âge où la plupart des plumes commencent à donner des signes de fatigues mais lui a retrouvé avec la langue de son enfance, de son coeur, la véritable source de son talent, un élixir de jouvence, et pendant ces quelques années fécondes il va réaliser au grand galop une oeuvre qui eût suffit à remplir l'existence entière d'un autre, puisant l'essentiel de son inspiration dans le monde paysan du Trégor inviolé tel qu'il l'a connu au cours des années où ses yeux s'ouvraient pour la première fois sur le monde, la mer qu'il a sillonnée, la vieille Russie où il a passé quelques unes des plus belles années de sa jeunesse, dont il possédait parfaitement la langue, dont il conservera toujours une certaine nostalgie. Russie perdue à jamais que sous sa plume il fait revivre encore.

Jarl PrielJarl Priel au Cap-Sizun en 1954 (cliché Al Liamm)

C'est comme auteur dramatique qu'il a fait d'abord son entrée dans la littérature bretonne: ancien secrétaire de Charles Dullin au cours de ses années parisiennes il était lui-même un véritable homme de théâtre, un comédien né. Il n'écrit pas seulement des pièces, il les vit : pièces comiques comme " an Dakenn Dour " mais plus souvent tragiques " Paotr e varn ruz "(" L'homme à la barbe rouge " ) et celles précédemment citées.

Jarl Priel nous a donné aussi un grand roman "An Teirgwern Pembroke" ("Le Trois-Mâts Pembroke") une sorte de conte de matelot terrifiant et interminable dont il avait rédigé autrefois une version française: " Le Trois-Mâts fantôme", et également de nombreuses nouvelles: "Olga", " Ar Vorvrec'h" (" La Sirène") et des traductions du russe également, mais son chef d'oeuvre, et celui-là il eut été bien incapable de l'écrire en une autre langue que celle de son enfance, ce sont les trois tomes qui forment la trilogie de ses souvenirs: "va zammig Buhez", "Va Buhez e Rusia ", " Aman hag Ahont " où il conte avec beaucoup de charme, de drôlerie, d'humour et de tendresse les mille et un épisodes de cette vie pleine de péripéties qui fut la sienne.

ll n'a même pas eu le bonheur de finir ses jours à "Krec'h Elies", la maison de ses grands parents, le havre où il s'était retiré, espérait-il, pour toujours.

Malade et seul il devra rejoindre sa fille établie près de Marseille, le dernier amour qu'il possédait en ce monde, et c'est là qu'il a terminé son existence, le 19 août 1965.

Comme il le déplorait lui-même il est dommage que cet écrivain né n'ait pas retrouvé plus tôt les chemins interdits de son pays, de son peuple, de sa langue. Nul doute que cette plume bondissante et joyeuse, si fertile, n'ait enfanté pour notre bonheur toute une bibliothèque.

Yann Bouëssel du Bourg

Dalc'homp Soñj N°11 (avec l'aimable autorisation des éditions Dalc'homp Soñj)