L'origine de l'hymne breton par Taldir-Jaffrenou

Le Bro Goz ma Zadou

En 1846, vivait au bourg de Pont-Y-Pridd, dans le sud du Pays de Galles, un modeste clergyman nommé Evan James, membre du Collège des Bardes, sous le pseudonyme de Ieuan Aaa lago.

Il était né à Caerphilly en 1809. Il mourut à Pontypridd en 1878.

Un dimanche de janvier 1846, le Révérend, en veine de poésie, écrivit un couplet et le refrain d'un hymne patriotique qu'il intitula Nen Wlad vy nhadau, Vieux Pays de mes Pères. Puis il appela son fils James James, qui savait jouer de la harpe, et lui dit de composer un air pour la poésie qu'il était en train d'écrire.

Le fils demanda 24 heures de délai, et le lendemain, il vint trouver son père avec la notation d'un air qu'il chanta en s'accompagnant de la telen.

Alors, Evan James écrivit deux autres couplets.

On ne sait ce qu'il advint de la chanson entre 1846 et 1860.

Cette année-là, un grand compositeur gallois nommé John Owen, de son nom bardique Owen Alaw, la publia dans son recueil The Gems of Welsh Melodies, avec un accompagnement de lui.

C'est à partir de ce moment que l'hymne connut le succès et fut adopté par les Eisteddfods et les Gorsedds comme l'hymne national. Auparavant l'air de Morva Rhuddlan en tenait lieu.

Il semble bien que les Bretons du Congrès Celtique de Saint-Brieuc en 1867 durent entendre le harpiste Owen Gruffyth, délégué de Lady Llanover, jouer Hen Wlad, mais les rapports n'en font pas mention.

En 1867, alors que collégien à Saint-Brieuc, je travaillais le gallois sous la houlette de François Vallée, notre grammairien national, j'eus connaissance de l'hymne Hen Wlad et je résolus d'y adapter des paroles bretonnes.

M'inspirant du chant de Leuan Ab lago, j'écrivis Bro Goz ma Zadou et lui donnait quatre couplets au lieu de trois qu'il a en gallois.

Je n'attachai pas autrement d'importance à cette exercice.

Vers cette même époque, le Révérend Jenkins, pasteur à Quimper écrivit lui-même une adaptation du Hen Wlad en breton, sous la forme d'un cantique anti-alcoolique (Telen ar C'hristen).

François Vallée me conseilla dès ma sortie du Collège, en 1898, de publier ma version. Elle parut dans La Résistance de Morlaix, et fut tirée sur feuille volantes avec sous-titre Henvelidigez (Adaptation).

Il n'était pas question d'en faire un Chant national, car au Congrès de l'Union Régionaliste Bretonne, à Vannes en 1899, je présentai au concours ma première version de Sao Breiz Izel, avec ce sous-titre : Kan Broadus (Chant national). Ce chant fut imprimé par l'Union dans une brochure intitulée Sones et Gwerzes couronnées par l'U.R.B (imp. Lafolye, Vannes, 1899).

Bro Goz ma Zadou fut compris dans mon livre An Delen Dir en 1900, et commença sa vogue dans les réunions des étudiants bretons de Rennes, qui en firent leur chant de ralliement.

En 1903, à son Congrès de Lesneven, l'Union Régionaliste Bretonne mit au concours un Chant National Breton. J'en présenterai deux, le Sao Breiz Izel et le Bro Goz.

Le Bro Goz fut choisi par le jury et proclamé Chant national, en raison de la fraternité qui rapprochait Bretons et Gallois. Dans le même moment, l'Association Celtique faisait adapter le Hen Wlad gallois en irlandais, en écossais, voire en cornique.

En Bretagne, il se répandit rapidement, grâce aux jeunes bardes de ma génération, grâce aussi à la générosité du père de Camille le Mercier d'Erm, imprimeur à Niort, qui l'édita en un bel album pour piano, avec l'accompagnement d'Owen Alaw.

En 1906 parut Maurice Duhamel, notre célèbre compositeur breton, collecteur des airs populaires du Pays de Vannes, et des airs des Sonious ha Gwerziou de Luzel. Maurice Duhamel écrivit pour le Bro Goz une nouvelle harmonisation pour piano, et c'est celle-là qui a pris le dessus, grâce à la maison Pathé frères, de Paris, qui l'enregistra sur ses disques phonographiques en 1910.

Le Bro Goz était définitivement lancé en France.

Le Bro Goz a fait figure de Chant National des Bretons en présence de représentants officiels du gouvernement français, par exemple en 1923 à Guimgamp. Raymond Poincaré fut reçu sur le quai de la gare par l'Harmonie municipale aux accents du Bro Goz, alors qu'il se rendait à Tréguier, assister au 100ème anniversaire de la naissance de Renan.

En octobre 1930, Gaston Doumergue, Président de la République française, venu inaugurer le pont géant de Plougastel-Daoulas, fut salué à Brest au chant du Bro Goz, par une délégation de Carhaix. M. Doumergue voulut que l'auteur lui fut présenté et le félicita.

En novembre 1932, au Théâtre de Nantes, notre hymne national fut joué devant Edouard Herriot, chef du Gouvernement français, venu inaugurer la plaque commémorative de l'Union de la Bretagne et de la France. M. Herriot l'écouta debout.

De même à l'inaugauration du pont du Douron, qui relie les Côtes-du-Nord au Finistère, entre Plestin et Locquirec, les accents du Bro Goz retentirent au moment où le président du Conseil général coupait le ruban symbolique.

Je dirai encore que dans de nombreuses cérémonies en l'honneur des Morts bretons de la guerre, l'execution du Bro Goz suivit ou précéda la Marseillaise.

Toutefois pour tranquiliser ceux qui seraient tentés de croire que l'auteur d'un tel Chant aurait fait fortune avec lui, je tiens à déclarer que je ne fais partie d'aucune Société de Gens de Lettres ou d'Auteurs, et que la reproduction du Bro Goz, est laissé libre depuis. Ce Chant ne m'a rapporté qu'un peu de notoriété, mais jamais un sou.

J'ai toujours autorisé son audition gratuite dans tous les spectacles, sa publication et son harmonisation.

Je n'ai défendu qu'une chose : c'est sa traduction en vers français chantables. Quand un pays a choisi son Hymne national, il tient à le chanter dans sa langue et non dans une traduction, si habile soit-elle.

En définitive, quel a été mon rôle dans la lancament du Bro Goz ma Zadou ?

Je ne puis mieux le comparer qu'à celui de Parmentier dans l'introduction de la pomme de terre.

Parmentier n'a pas inventé la pomme de terre, il l'a transplantée et acclimatée en France.

Je n'ai pas inventé l'air du Bro Goz ma Zadou. Je l'ai transplanté et popularisé en Bretagne.

Je suis arrivé à l'heure qu'il fallait avec mon air gallois et mes paroles : autour d'un chant qui résumait les aspirations confuses de ma génération, j'ai galvanisé les énergies. Les circonstances s'y prêtant, mes amis l'ont adoptée.

Actuellement le Bro Goz ma Zadou est admis par tous les Bretons a quelque parti qu'ils appartiennent. Grâce à lui, des milliers de nos compatriotes ont pris connaissance de leur origine, se sont sentis pour un instant différents des autres Français. Un Chant National, c'est actuellement tout ce qui nous reste de notre ancienne indépendance.

Taldir-Jaffrenou

Dalc'homp Soñj N°1 (avec l'aimable autorisation des éditions Dalc'homp Soñj)