YANN-BER CALLOC'H (1888-1917)

 Etrange paradoxe que d'être un inconnu célèbre ! D'être l'auteur oublié de l'un des plus grands succès de la chanson bretonne. Chanté par Servat et fredonné par tous "Me zo ganet é kreiz ar mor" ( je suis né au milieu de la mer ), n'est autre que l'oeuvre de Jean-Pierre Calloc'h, dit Bleimor.

Né le 21 juillet 1888 sur l'île de Groix, au large de Lorient, celui qui reste comme l'un des plus grands poètes Bretons, fut aussi l'auteur du plus beau recueil de chants religieux qui ait jamais été écrit. Ar en deulin (à genoux). (Ce recueil vient d'ailleurs d'être réédité récemment par Kendalc'h dans une version bilingue.)

Ce quatrième enfant d'une famille de pêcheurs voue très vite un amour passionnel à son pays natal, la Bretagne. Très tôt, il sent sa vocation poétique "Evid Doué ha Breih" (pour Dieu et la Bretagne). Dès 1905, il adresse ses premiers poèmes aux revues Ar Vro de Taldir Jaffrennou et Dihunamb de Loeiz Herrieu.

Du Grand Séminaire en 1905 à l'université à Paris jusqu'en 1907, Iehann-Per Kalloh ( en vannetais ! ) ne manque pas une occasion de faire usage de sa plume. Les revues littéraires mais aussi les journaux à vocation plus polémique deviennent les tribunes préférées du groisillon.

 Puis vint le service militaire de 1909 à 1911. Il demande à faire le cours des illettrés et le fait en Breton à quarante bretonnants. Il entretient toujours de nombreuses correspondances avec des militants et des journaux bretons. En outre, il s'affirme contre la statue de la Marquise de Sévigné que Charles Le Goffic veut ériger à Vitré. Il prend même la tête des partisans de Nominoë: "En voilà au moins un qui mérite une statue !".

Puis arrive la guerre. Celui qui s'affiche comme si peu Français "Nen don ket Gal aveid ur blank" (Je ne suis pas Français pour un sou), endosse la vareuse militaire le 26 janvier 1915 à Lorient.

Début 1917 Bleimor adresse la Prière du guetteur (Pedenn er gedour) à René Bazin qui en publie la traduction dans l'Echo de Paris.

Quelques jours plus tard, pendant le repas, un obus éclate à proximité du Lieutenant Calloc'h...Une voix poétique extraordinaire vient de se taire pour toujours. C'était le 10 avril 1917. Yann-Ber Calloc'h avait 28 ans.

 

Songes d'exil

 

...Hier, te souviens-tu? Hier, avant-hier c'était la tempête et pluie.

C'était la Falaise d'Enfer, en Od Ivern, à l'ouest de mon île occidentale là-bas.Un prêtre, un marin, trois étudiants, nous étions cinq qui marchions vers la mer, vent debout...

Sous le ciel sombre, aussi loin que la vue pouvait aller, passaient, chevauchée lourde et farouchement muette, les lames. Elles s'avançaient en silence jusqu'au pied de l'île.Là,impatientes de l'obstacle qui leur barrait la route, elles se précipitaient en bonds immenses avec -l'image est de couleur locale-des hurlements d'enfer, sur l'impassible ligne des schistes éternels.

Nous regardions. Point de paroles.Le vent, d'ailleurs eût coupé nos voix.Cependant, après un long temps de contemplation rêveuse, l'un d'entre nous cria:"N'est-ce pas le moment de chanter le Bro Goz ?"

La pluie rageuse,nous mordait au visage; les embruns tournoyant dans l'air salaient nos lèvres.Nous entonnâmes debout.Elle pouvait rugir, la tempête! Des voix armoricaines savent bien, quand il faut, couvrir la sienne.Et les quatre couplets de l'hymne de la Bretagne, en ce lendemain de la fête nationale, aux bords extrêmes de la terre occidentale, retentirent dans l'ouragan.Une à une,le vent cueillait les syllabes et, dans sa course de

folie, les jetait vers l'est par-dessus

l'île, comme un défi à toute la terre :

Ra vezo digabestr ma bro !...

 

Le Pays Breton.Edito.

Du 15.12.1912


A lire sur Jean-Pierre Calloc'h

- Yann-Ber Kalloc'h de Guenaël Le Bras aux Editions Dalc'homp Soñj (1988)