ANJELA DUVAL (1905-1981)

Etonnante femme que cette paysanne qui apparaît sur les écrans de télévision ce 28 décembre 1971. Plus étonnant encore la critique élogieuse dans la presse le lendemain de son passage dans l'émission d'André Voisin "Les Conteurs". " Comme on se sentait loin de la vulgarité commerciale, de la putasserie de bas plaisir et de faux-semblant, qui sont d'ordinaire à la lucarne ! Qu'elle était émouvante, intéressante, honnêtement heureuse dans sa simplicité, cette Anjela Duval, une vieille Bretonne amoureuse - mais lucide - de sa terre, des saisons, des récoltes de la nature et de la vraie vie. A la place d'André Voisin, je lui aurais fait la bise qui vient du coeur, quand le coeur a battu. Merci, M. Voisin ! Vos émissions sont des bouffées d'air pur..." Clément Ledoux - Le Canard Enchaîné -. C'est ainsi que ce révélera au grand public Marie-Angèle Duval, "écrivain-paysan" de langue bretonne.

Née le 3 avril 1905 au Vieux-Marché (près de Plouaret dans les Côtes-d'Armor) Marie-Angèle Duval, qui devient rapidement Anjela Duval - ce prénom étant la bretonnisation d'Angèle - est la fille unique d'une modeste famille de cultivateurs.

Après de courtes études sanctionnés, en 1917, de l'équivalent du certificat d'études primaires, elle intègre définitivement la ferme familiale de Traoñ-an-Dour.

C'est sur le tard que la poétesse se met à approfondir "sa" langue bretonne et surtout à l'écrire. "Jamais je n'ai pu m'attacher à ce maudit français ! Le lire et l'écrire, encore, mais le parler, mon Dieu ! Le peu de français que j'ai pu ramasser dans mon bissac se trouve toujours "à l'arrière" et difficile à attraper. Souvent je traduis le contraire de ma pensée. Ce qui me fait passer pour plus idiote que je ne suis !". Elle s'y intéressa d'abord en lisant Breiz, puis la revue de Roparzh Hemon "Ar Bed Keltiek". Mais c'est surtout à l'abbé Marcel Le Clerc, de Buhulien, qu'elle doit sa passion pour la langue bretonne.

De nombreux articles, poèmes et contes sur son attachement à la terre et à la nature feront d'Anjela Duval un auteur populaire en Bretagne. Sa disparition à l'hôpital de Lannion le samedi 7 novembre 1981, devait définitivement fermer le livre de Traoñ-an-Dour, lieu symbolique de la résistance de la langue bretonne...

Karantez-Vro

E korn va c'halon 'zo ur gleizhenn

'Baoe va yaouankiz he dougan

Rak, siwazh, an hini a garen

Ne gare ket pezh a garan.

Eñ na gare nemet ar c'hêriou,

Ar morioù don, ar broioù pell,

Ha ne garen 'met ar maezioù,

Maezioù ken kaer va Breizh-Izel.

 

Ret' voe didab 'tre div garantez :

Karantrez-vro, karantez den.

D'am bro am eus gouestlet va buhez

Ha lezet da vont 'n hini 'garen.

Biskoazh klevet keloù outañ.

Ar gleizhenn em c'halon zo chomet

Pa ne gare ket pezh a garan

 

Pep den a dle heuilh e donkadur :

Honnezh eo lezenn ar bed-mañ.

Gwasket 'voe va c'halon a-dra-sur,

Met 'gare ket pezh a garan.

Dezhañ pinvidigezh, enorioù,

Din-me paourentez ha dispriz.

Met 'drokfen ket evit teñzorioù

Va Bro, va Yezh ha va Frankiz.

 

En mon coeur est ma blessure,

Depuis ma jeunesse y reste gravée

Car, hélas, celui que j'aimais

Ce que j'aime n'aimait pas.

Lui n'aimait que la ville,

La grande mer et les lointains ;

Je n'aimais que la campagne,

Beauté des campagnes de Bretagne.

 

Entre deux amours il me fallut choisir

Amour-patrie, amour de l'homme ;

A mon pays j'ai offert ma vie,

Et s'en est allé celui que j'aimais.

Depuis, jamais je ne l'ai revu,

Jamais connu de ses nouvelles.

En mon coeur saigne la blessure

Car ce que j'aime, il n'aimait pas.

 

Chacun sa Destinée doit vivre,

Ainsi en ce monde en est-il.

Meurtri, certes, fut mon coeur,

Mais ce que j'aime, il n'aimait pas.

A lui, honneurs et richesse

A moi, mépris et humble vie.

Mais je n'échangerais contre nul trésor

Mon pays, ma langue et ma liberté.

La visite de Traoñ-an-Dour avec Roger Laouenan


A lire sur Anjela Duval

- Anjela Duval de Roger Laouenan aux Editions Nature et Bretagne (1982).