MAODEZ GLANNDOUR (1909-1986)

Le 25 novembre 1986 à l'hôpital de Lannion où il avait été transporté, aux frontières de la mort depuis une quinzaine, l'abbé Loeiz ar Floc'h, " Maodez Glanndour " rendait à Dieu son âme étincelante de lumière après de longues années de souffrances indicibles supportées avec un grand courage, accomplissant jusqu'au bout son ministère, luttant pour mener à son terme en dépit de ses forces déclinantes, la tâche immense que le maître du destin lui avait assignée.

Sans doute notre plus grand poète de langue bretonne de tous les temps avec Roparz Hémon dont il est légitime d'associer le nom à celui qui se reconnaissait comme son disciple, qu'il n'a cessé de vénérer et d'aimer.

Par son esprit, par sa langue, par sa vision du monde, par sa conception héroïque de la vie et de l'action, Maodez Glanndour se rattache incontestablement à l'école " Gwalarn ", dans la tradition émancipatrice de " Breiz Atao ". Cependant, par sa stature unique, par le fait aussi que, très tôt, il sera à la tête de ses propres publications, de sa propre école de pensée, par son orientation définitivement chrétienne et catholique, il occupe une place à part et indépendante.

Né le 7 mars 1909 à Pontrieux, fils d'un notaire, d'une famille enracinée dans le Trégor, tant du côté paternel que maternel depuis les générations les plus reculées, il est ordonné prêtre en 1932, l'année même de la destruction du " Monument de la Honte Nationale " sur la Place de la mairie de Rennes. Coïncidence ou symbole?

Symbolique aussi, sourire du destin, sa nomination comme recteur de Louannec en 1936, la paroisse de saint Yves où il restera trente ans, jusqu'à la fin de son existence. Comme saint Yves, il sera toute sa vie le défenseur de l'Eglise et du grand pauvre, le peuple breton.

Homme d'une vaste culture, docteur en philosophie, licencié en théologie, après deux ans d'études à Rome et un an à l'Université catholique de Paris, il est retourné en Bretagne pour toujours.

Il avait lancé en 1937 avec l'Abbé Nedelec la revue d'études catholiques " Studi hag Ober " (" Etude et action ") qui sera continuée un temps, après la guerre par les " Kaieroù Kristen " (Cahiers chrétiens) et " Ar bedenn evit ar Vro " (La Prière pour le Pays), bulletin intérieur de l'Unvaniezh speredel Breizh (" Union spirituelle bretonne "), fondée en 1942 par Madalen Saint-Gal de Pons et dont il sera le principal rédacteur. Simple feuille mais chargée de pensée, d'idées et de prière. Ce qui ne l'empêchera pas de collaborer à plusieurs autres revues, notamment " Gwalarn ", " Sav ", " Sterenn " et, après la guerre, " Al Liamm ", " Imbourc'h ".

Breton sans compromission et sans partage, c'est à travers l'amour de son pays, de sa terre, de sa langue qu'il atteint à celui de son Créateur. C'est à travers la Bretagne retrouvée qu'il a pris conscience de sa propre vocation d'écrivain et de poète, jamais autrement son génie n'aurait pu éclore.

Ra vin benniget Aotrou da Dre m'ac'h eus digoret va muzelloù marv, Va spered prennet gant yezh an estren...

(Sois béni, Dieu bon, parce que tu as ouvert mes lèvres mortes, mon esprit que il la langue de l'étranger maintenait prisonnier).

Cette Bretagne d'ici-bas trouve en lui une autre dimension. Parce qu'il existe en nous, en notre esprit, le caractère national est immortel. Cette beauté que nous aurons contemplée et dont lentement se sont tissées nos âmes, nous l'emporterons dans l'au-delà comme autant de fleurs que nous déposerons au pied du trône. " Ur c'haerder a zo tra kenedus da viken " (" Une beauté est chose belle à jamais ") et ce vers répond comme un écho à celui de Keats: " A thing of beauty is a joy for ever " (" Beauté est joie pour toujours ").

Cette joie, cette certitude, cette espérance, cette foi du poète en la destinée éternelle de son pays, en l'immortelle résonance de notre action est en contraste avec l'image du héros tourmenté que nous offrent d'autres écrivains bretons contemporains tels que Roparz Hémon lui-même, partagé entre des aspirations contraires, hanté par le problème de la valeur d'une action qui finalement, s'il n'y a pas de résurrection, si tout se termine par la mort, débouche sur le néant ou des gémissements de Yann Ber Kalloc'h, qui, lui, croit à l'éternité, mais pas pour ce qui, ici-bas, a été notre raison de vivre, de combattre, de souffrir : la beauté de ce monde, notre terre, notre langue, notre nation aboutissant curieusement à une sorte de nihilisme, à réduire notre âme à une sorte de vapeur impalpable : animula vagula blandula... ; Maodez Glanndour, lui, accepte dans sa plénitude la réalité, celle d'ici-bas, celle de l'au-delà dont il reconnaît l'unité profonde, car l'une est en germe dans l'autre.

Il est notre poète et notre écrivain le plus national ; mais alors que Mordrel mettait l'accent sur une idée mythique de la race, que Meven Mordiern n'attachait d'importance qu'à la langue exclusivement, Maodez Glanndour, lui, a renouvelé notre amour pour notre terre, ce paysage dont, depuis notre enfance, nous subissons l'envoûtement et à qui nous devons pour une grande part la forme même de notre pensée, cette terre dont nous sommes nés, avec laquelle nous nous fondrons et qui empêchera notre nation de disparaître, même si notre langue devait s'évanouir pour un temps, cette terre dont nous devons comprendre la valeur irremplaçable quand nous voyons combien il est difficile au peuple d'Israël de reconquérir la sienne, cette terre dont nous emporterons avec nous dans l'autre monde le souvenir et la substance.

Maodez Glanndour rejette la civilisation gréco-latine, desséchante pour l'esprit et difficilement compatible avec le christianisme, stérilisante pour l'âme des Celtes, et son héritier le classicisme français.

Il a cherché à créer un art strictement breton qui puise son inspiration dans nos contes nos gwerzes et jusqu'en la symbolique de nos vieux proverbes.

L'essentiel de son oeuvre est constitué par ses poèmes, recueils tels que " Troellennoù Glas " (Les Spirales bleues), " Bragerizoù Ene " (Les Bijoux de l'âme), parus en l937 et en 1939 dans " Gwalarn ", grands poèmes tels que " Imram " (Navigation) ( 1941 ), Milc'hwid ar Serrnoz, (Le mauvais du crépuscule) (1946) dont l'ensemble, à l'exception du " Milc'hwid " a été réuni en 1949 en un recueil : " Komzoù bev " (" Paroles vivantes ") réédité en 1984 par " Al Liamm ".

En 1949, également, " Telenngan d'an teir vertuz " (" Ode aux trois vertus "). En 1951, " Kanadeg evit Nedeleg ". (" Cantate pour Noël ") rééditée en 1984 par " Al Liamm " avec " Milc'hwid ar Serrnoz " en un volume sous le titre de " Telennganoù ". En 1979, " Vijilez an deiz diwezhañ " (Nocturne du dernier jour), le dernier et peut-être le plus dense de ses grands poèmes, le plus prophétique. En 1983, " Va levrig skeudennoù " (Mon petit livre d'images).

Son oeuvre en prose n'a sans doute pas été appréciée à sa juste valeur et n'a pas provoqué un impact proportionnel à son importance, du fait qu'elle était jusqu'ici dispersée en de nombreux articles, aujourd'hui naturellement introuvables.

Réunis à présent et harmonisés par l'auteur en un seul volume, encore inédit, sous le titre de " Dre Inizi ar Bed Keltiek " (" A travers les îles du monde celtique ") sur le modèle d'" Ur Breizhad oc'h adkavout Breizh " de Roparz Hémon, ils prennent une autre signification.

Inédit également son dernier ouvrage ou du moins le dernier qu'il ait achevé, car il l'avait commencé dès son arrivée à Louannec : recueil d'observations de toutes sortes nées de ses lectures, de ses méditations, de conversations quelque fois. Il le considérait lui-même comme le plus fidèle miroir de ses pensées et de ses sentiments, une sorte de testament spirituel.

Maodez Glanndour est incontestablement notre penseur contemporain le plus profond et son enseignement a d'autant plus de chance de survivre et d'étendre son influence qu'il s'exprime en une langue étincelante de beauté.

Mais en vérité, il n'est pas possible de dissocier la prose de Maodez Glanndour de son oeuvre proprement poétique, parce que cette prose est elle-même poésie et que d'autre part, sa poésie est chargée de réflexion (voyez " Imram "). Il n'écrit jamais pour écrire, il a horreur de l'art pour l'art mais sa pensée joue librement à travers une multitude végétale de formes, comme au coeur d'une forêt enchantée.

On ne saurait non plus dissocier de l'ensemble de cette oeuvre ses traductions de la Bible, dont le Nouveau Testament tout entier et l'ensemble des oeuvres poétiques de l'Ancien Testament, à l'exception de l'Ecclésiaste. Elles sont parmi les meilleures certes, mais aussi les plus belles qui aient jamais été réalisées dans le monde occidental, et beaucoup de langues pourraient nous envier, car elles n'ont pas toutes eu la chance de voir traduire les livres sacrés par un de leurs plus grands poètes.

Ce que Roparz Hémon a réalisé avec " Gwalarn ", Maodez Glanndour l'a tenté également, sur un plan, bien sûr, un peu différent avec sa revue " Studi hag Ober " puis " Kaieroù Kristen ".

Il avait groupé un certain nombre d'écrivains catholiques de qualité, la plupart ecclésiastiques, comme l'abbé Per Bourdelles, penseur robuste, d'une haute culture, à la langue impeccable, à la fois très riche et d'une grande limpidité, l'abbé Marsel Klerg, jeune prêtre à l'époque, remarquable traducteur et bon journaliste qui fondera plus tard la revue " Barr-Heol ", le chanoineBatani très versé dans l'histoire de notre littérature, l'abbé Per-Mari Lec'hvien, futur martyr de la Bretagne et de la Foi. L'abbé Armañs ar C'halvez qui dirigera l'école bretonne de Plouézec et Madalen Saint-Gal de Pons, historienne et poétesse mystique d'une grande sensibilité qui signe Benead, Loeiz Andouard (Farnachanavan) qui fut aussi de l'équipe de " Gwalarn " et collabora à de nombreuses revues esprit toujours en éveil, producteur et chercheur infatigable dans les domaines les plus divers.

Il est regrettable que, faute de moyens financiers, faute d'abonnés en nombre suffisant, Maodez Glanndour ait dû si tôt en arrêter la publication.

Mentionnons également, éditées par Imbourc'h, ses " Notennoù a batrologiezh " (Notes de patrologie), une histoire de la littérature chrétienne aux premiers temps de l'Eglise ( 1981 ) et deux traductions : celle de " Sin an Temple " ( Le Signe du Temple), du Cardinal Jean Daniélou et " Trec'h an Aotrou Krist " (" La Victoire du Christ ") de Dom Ansker Vonier (1984) qui brille en notre langue comme un diamant.

Poète, écrivain, théologien et exégète, historien érudit, Maodez Glanndour était également un des meilleurs spécialistes de la musique et de la chanson populaire bretonnes, et compositeur lui-même.

Dalc'homp Soñj N°18 (avec l'aimable autorisation des éditions Dalc'homp Soñj)