LE MARQUIS DE PONTCALLEC

1718. Se fondant sur la violation des clauses de l'Edit d'Union de 1532 par le Régent-le duc d'Orléans- un certain nombre de gentilshommes Bretons décident de renverser le gouvernement royal (conspiration de Cellamare), pour le remplacer par le roi d'Espagne, Philippe V. Parmi ces hommes, le Marquis de Pontcallec. Ce dernier, joua un rôle déterminant dans cette affaire. Malgré un contexte politique favorable ( refus du parlement de Bretagne d'enregistrer la rentrée des impôts sans le consentement des Etats le 10 janvier 1718, troubles un peu partout en Bretagne, etc. ), et la constitution d'une association des " Frères Bretons " avec ses 500 signataires, le " soulèvement Breton " reste marginal. Seuls, une vingtaine de petits nobles terriens prennent une part active au complot. Cet échec se traduit par l'arrestation du Marquis de Pontcallec le 28 décembre 1718, grâce à la trahison de Chémendy, sénéchal du Faouët et ami (!) du Marquis. Trois autres conjurés, du Couëdic, Montlouis, Le Moyne du Talhouët se rendirent eux-mêmes. Les condamnés furent exécutés le 4 mai 1720. "

Une immense pitié étreignit les coeurs au souvenir de ces malheureux sacrifiés à une politique impitoyable ". " C'est de ce sentiment qu'est né la légende. On plaignit justement les quatre infortunés qui avaient payé pour les autres...On en fit des héros et des martyrs." (Pocquet, Histoire de Bretagne, T.VI, P.150)

Le Barzaz Breiz.

La Mort de Pontcallec

Les fils de ces hommes qui au seizième siècle prirent les armes pour affranchir leur pays de la souveraineté étrangère devaient, au dix-huitième, se lever deux fois pour la même cause. La conspiration de Cellamare eût un plus grand caractère de simplicité dans ses motifs et de précision dans son objet que la Ligue ; elle fut purement nationale. Se fondant sur la violation de leurs franchises par le Régent, dont le but était de détruire toute résistance parlementaire, les Bretons déclarèrent nul l'acte de leur union à la France, et envoyèrent au roi d'Espagne, Philippe V des plénipotentiaires chargés d'entamer des négociations ayant pour base l'indépendance absolue de la Bretagne. La plus grande partie de la noblesse et les populations rurales se liguèrent contre la France ; la bourgeoisie seule resta en dehors du mouvement national. Elle était, dit M. Rio, entièrement dévouée au Régent et déjà presque toute étrangère au pays ; les mots de droit et de liberté n'étaient inscrits que sur le gonfanon des gentilshommes.

La conspiration échoua, comme on sait. Quatre des principaux chefs, savoir : Pontcalec, du Couëdic, Montlouis et Talhouet-le-Moine, furent pris et traités avec le plus dur mépris des formes judiciaires ; le Régent, désespérant d'obtenir un arrêt de mort de leurs juges naturels, les livra à une cour martiale ; un étranger, un Savoyard, la présidait. Mais le peuple, indigné, réforma le jugement, et il fallut toutes les horreurs de 93 pour faire oublier aux Bretons les tribunaux extraordinaires et les dragonnades de 1720. L'élégie du jeune Clément de Guer-Malestroit, marquis de Pontcallec, décapité à Nantes, à l'âge de vingt et un ans, sur la place du Bouffay, avec les trois braves gentilshommes que nous avons nommés, témoigne de l'esprit de la conjuration et de la sympathie populaire qui adoucit leurs derniers instants.

Théodore Hersart de La Villemarqué

Pontcallek selon LangleizPontkalleg selon Xavier de Langlais

MORT DE PONTCALLEC

I

Un chant nouveau a été composé, il a été fait sur le marquis de Pontcalec ;

- Toi qui l'as trahi, sois maudit ! sois maudit ! Toi qui l'as trahi, sois maudit ! -

Sur le jeune marquis de Pontcalec, si beau, si gai, si plein de coeur !

-Toi qui l'as trahi, sois maudit ! sois maudit ! etc.

Il aimait les Bretons, car il était né d'eux ;

-Toi qui l'as trahi, sois maudit ! soit maudit ! etc.

Car il était né d'eux, et avait été élevé au milieu d'eux.

Il aimait les Bretons, mais non pas les bourgeois ;

Mais non pas les bourgeois qui sont tous du parti français ;

Qui sont toujours cherchant à nuire à ceux qui n'ont ni bien ni rentes,

A ceux qui n'ont que la peine de leurs deux bras, jour et nuit, pour nourrir leurs mères.

Il avait formé le projet de nous décharger de notre faix ;

Grand sujet de dépit pour les bourgeois qui cherchaient l'occasion de le faire décapiter.

- Seigneur marquis, cachez-vous vite, cette occasion, ils l'ont trouvée ! -

II

Voilà longtemps qu'il est perdu ; on a beau le chercher, on ne le trouve pas.

Un gueux de la ville, qui mendiait son pain, est celui qui l'a dénoncé ;

Un paysan ne l'eût pas trahi, quand on lui eût offert cinq cents écus.

C'était la fête de Notre-Dame des moissons, jour pour jour ; les dragons étaient en campagne :

- Dites-moi, dragons, n'êtes-vous pas en quête du marquis ?

- Nous sommes en quête du marquis ; sais-tu comment il est vêtu ?

- Il est vêtu à la mode de la campagne : surtout bleu orné de broderies ;

Soubreveste bleue et pourpoint blanc ; guêtres de cuir et braies de toile ;

Petit chapeau de paille tissu de fils rouges ; sur ses épaules, de long cheveux noirs ;

Ceinture de cuir avec deux pistolets espagnols à deux coups.

Ses habits sont de grosse étoffe, mais dessous il en a de dorés.

Si vous voulez me donner trois écus, je vous le ferai trouver.

- Nous ne te donnerons pas même trois sous ; des coups de sabre, c'est différent ;

Nous ne te donnerons pas même trois sous, et tu nous feras trouver Pontcalec.

- Chers dragons, au nom de Dieu, ne me faites point de mal :

Ne me faites point de mal, je vais vous mettre tout de suite sur ses traces :

Il est là-bas, dans la salle du presbytère, à table, avec le recteur de Lignol.

III

- Seigneur marquis, fuyez ! fuyez ! voici les dragons qui arrivent !

Voici les dragons qui arrivent : armures brillantes, habits rouges.

-Je ne puis croire qu'un dragon ose porter la main sur moi ;

Je ne puis croire que l'usage soit venu que les dragons portent la main sur les marquis ! -

Il n'avait pas fini de parler, qu'ils avaient envahi la salle.

Et lui de saisir ses pistolets :

- Si quelqu'un s'approche, je tire ! -

Voyant cela, le vieux recteur se jeta aux genoux du marquis :

-Au nom de Dieu, votre Sauveur, ne tirez pas, mon cher seigneur !

A ce nom de notre Sauveur, qui a souffert patiemment ;

A ce nom de notre Sauveur, ses larmes coulèrent malgré lui ;

Contre sa poitrine ses dents claquèrent ;

mais, se redressant, il s'écria : " Partons ! "

Comme il traversait la paroisse de Lignol, les pauvres paysans disaient,

Ils disaient, les habitants de Lignol : - C'est grand péché de garrotter le marquis ! -

Comme il passait près de Berné, arriva une bande d'enfants :

- Bonjour, bonjour, monsieur le marquis : nous allons au bourg, au catéchisme.

- Adieu, mes bons petits enfants, je ne vous verrai plus jamais !

- Et où allez-vous donc, seigneur ? est-ce que vous ne reviendrez pas bientôt ?

- Je n'en sais rien, Dieu seul le sait : pauvres petits, je suis en danger. -

Il eût voulu les caresser, mais ses mains étaient enchaînées.

Dur eût été le coeur qui ne se fût pas ému ; les dragons eux-mêmes pleuraient ;

Et cependant les gens de guerre ont des coeurs durs dans leurs poitrines.

Quand il arriva à Nantes, il fut jugé et condamné,

Condamné, non pas par ses pairs, mais par des gens tombés de derrière les carrosses.

Ils demandèrent à Pontcalec : - Seigneur marquis, qu'avez-vous fait ?

- J'ai fait mon devoir ; faites votre métier ! -

IV

Le premier dimanche de Pâques, de cette année, un message est arrivé à Berné.

- Bonne santé à vous tous, en ce bourg ; où est le recteur par ici ?

- Il est à dire la grand'messe, voilà qu'il va commencer le prône. -

Comme il montait en chaire, on lui remit une lettre dans son livre :

Il ne pouvait la lire, tant ses yeux se remplissaient de larmes.

- Qu'est-il arrivé de nouveau, que le recteur pleure ainsi ?

- Je pleure, mes enfants, pour une chose qui vous fera pleurer vous-mêmes :

Il est mort, chers pauvres, celui qui vous nourrissait, qui vous vêtissait, qui vous soutenait ;

Il est mort celui qui vous aimait, habitants de Berné, comme je vous aime ;

Il est mort celui qui aimait son pays, et qui l'a aimé jusqu'à mourir pour lui ;

Il est mort à vingt-deux ans, comme meurent les martyrs et les saints.

Mon Dieu, ayez pitié de son âme ! le seigneur est mort ! ma voix meurt !

-Toi qui l'as trahi, sois maudit ! sois maudit ! Toi qui l'as trahi, sois maudit !